SA et Sàrl : gare aux cotisations sociales impayées !
En Suisse, lorsqu’on crée une société anonyme (SA) ou une société à responsabilité limitée (Sàrl), on entend souvent que la « responsabilité est limitée au capital social ». En d’autres termes, les associés ou actionnaires ne risquent de perdre que ce qu’ils ont investi dans l’entreprise, rien de plus. Cependant, le droit suisse prévoit certaines exceptions auxquelles il est primordial de porter attention.
En principe, les membres du conseil d’administration ou de la gérance ne sont pas personnellement responsables des dettes de la société. C’est la société qui est une personne morale, et c’est donc elle qui répond de ses obligations.
Cependant, le droit suisse prévoit certaines exceptions dans lesquelles les administrateurs ou gérants peuvent être tenus personnellement responsables, notamment en cas de faute intentionnelle ou de négligence fautive dans la gestion (art. 754 et suivants du Code des obligations), par exemple :
- omettre de tenir une comptabilité régulière ;
- ne pas dresser de bilan intermédiaire malgré un surendettement imminent ;
- avertir tardivement le juge en cas de surendettement ;
- investir la majorité du patrimoine social de la société dans des placements hautement spéculatifs ;
- retirer des actifs de la société sans s’assurer qu’elle reçoive une contreprestation équivalente ;
- obtenir des prêts ou crédits bancaires en employant des bilans falsifiés ou informations contraires à la vérité ;
- Et omettre de payer les cotisations aux assurances sociales…

Omettre de payer les cotisations aux assurances sociales
En général, les gérants de PME ne choisissent pas volontairement d’omettre le paiement de leurs contributions sociales. Lorsqu’ils sont en difficulté, ils préfèrent verser les liquidités disponibles pour des charges considérées comme plus urgentes, nécessaires au bon fonctionnement de l’exploitation, telles que salaires, fournisseurs, loyers et leasings.
Or, cette stratégie est très risquée !
Le 1er janvier 2025 est entrée en vigueur la Loi fédérale sur la lutte contre l’usage abusif de la faillite (RS 220). Parmi les nouvelles mesures, la plus importante est la modification de l’article 43 de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP ; RS 281.1), prévoyant que les créances de droit public (impôts, TVA, émolument, amendes, cotisations sociales AVS et LAA) se poursuivent désormais par voie de faillite.
Cette nouveauté a pour corollaire de provoquer la faillite de nombreuses entreprises viables, confrontées à des retards sporadiques dans le règlement de leurs dettes de droit public. En effet, dès le 1erjanvier 2025, si une caisse de compensation (ou une collectivité publique) envisage d’ouvrir une procédure de poursuites pour des contributions impayées, la personne débitrice reçoit un avertissement officiel indiquant qu’elle risque la faillite (commination de faillite, cf. art. 159 LP). Cela permettra au créancier de requérir la faillite à l’expiration d’un ultime délai de paiement de 20 jours.

Qui paie quand l’entreprise est insolvable ?
Si l’employeur est une personne morale, ses organes, c’est-à-dire les membres de l’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation, répondent subsidiairement de ses agissements (art. 52 al. 2 LAVS).
En cas d’insolvabilité de l’employeur, les organes peuvent donc être directement et personnellement poursuivis pour le dommage résultant de cotisations sociales impayées, ce dommage correspondant au remplacement des cotisations qui ne peuvent plus être perçues. Et ce, même si la personne morale existe toujours. Sont considérées comme organes agissant au nom de l’employeur, non seulement les personnes physiques qui représentent la personne morale à l’extérieur (organes formels), mais aussiles personnes qui prennent des décisions ou qui assument la gestion, influençant de manière déterminante la formation de la volonté au sein de la société (organes de fait, comme par exemple un directeur avec signature individuelle ou un actionnaire unique).
Un organe répond aussi des cotisations sociales qui étaient déjà échues au moment où il commence à assumer son mandat. Il a donc tout intérêt à s’informer de la situation de la société en lien avec ses obligations vis-à-vis de l’AVS avant d’accepter un mandat. Il ne répond toutefois pas du dommage préexistant à son entrée en fonction, si la société était déjà insolvable avant son entrée en fonction. Il pourra toutefois être considéré comme responsable de l’aggravation du dommage pendant qu’il est en fonction.
Lorsque plusieurs personnes ont causé ensemble un dommage, elles en répondent solidairement. Cependant, la caisse de compensation peut rechercher tous les débiteurs, plusieurs parmi eux ou seulement l’un d’entre eux.
A noter aussi que l’obligation découlant de l’art. 52 LAVS passe, après le décès du responsable, aux héritiers qui ont accepté la succession. A cet égard, peu importe que la personne décédée et présumée responsable décède avant que soit rendue une décision la visant ou seulement après une telle décision.
Conditions auxquelles la réparation du dommage peut être exigée
- Dommage
Le dommage est considéré comme étant réalisé dès que le montant dû de par la loi ne peut plus être recouvré pour des raisons juridiques ou de fait. Il en va notamment ainsi lorsque l’employeur est insolvable (prononcé de la faillite ou délivrance d’un acte de défauts de biens). Sont compris dans ce montant :
- les cotisations paritaires (part employeur et part employé) dues par l’employeur ;
- les contributions aux frais d’administration ;
- les intérêts moratoires ;
- les frais de sommation et les frais de poursuite.
- Violation des dispositions légales
Le dommage naît de la violation des prescriptions légales qui peut consister en une action ou en une omission. Tel est notamment le cas lorsque l’employeur ne satisfait pas à son obligation de payer les cotisations sociales prévue à l’art. 14, al. 1, LAVS en corrélation avec les art. 34 ss RAVS.
- Faute de l’employeur
L’employeur doit avoir causé le dommage intentionnellement ou par négligence grave. Une négligence seulement légère ne suffit pas.
Se rend coupable d’une négligence grave, l’employeur qui faillit au devoir d’attention qu’une personne raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. Le degré de diligence dépend de celle généralement attendue ou à laquelle on peut s’attendre de la catégorie d’employeurs à laquelle appartient la personne dont la responsabilité doit être jugée.
La faute doit cependant être jugée d’après les circonstances particulières du cas. Une plus grande diligence est attendue par exemple du président du conseil. Tout administrateur est en principe tenu de se renseigner auprès de la caisse de compensation sur le paiement et les décomptes de cotisations. La délégation des fonctions de gestion et de représentation à des tiers ne décharge pas les organes de leur obligation de surveillance au sens de l’art. 716a, al. 1, CO. Le fait d’être profane en la matière ou le caractère honorifique d’un mandant ne constituent pas non plus un motif de décharge de responsabilité.
Aussi, si l’employeur a retenu les cotisations sur la fiche de salaire de ses employés mais qu’il ne les a pas versées à la caisse de compensation, il y a en principe négligence grave ou intention. De plus, pareil agissement constitue un délit pénal faisant l’objet d’une dénonciation par la caisse de compensation à l’autorité pénale compétente (art. 87 LAVS).
- Prescription
La créance en réparation du dommage se prescrit dans un délai de trois ans dès la connaissance du dommage et de la personne tenue à réparation (art. 60 al. 1 CO). Il s’agit de deux conditions cumulatives. Dans tous les cas, elle se prescrit dans les dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé (art. 52 al. 3 et 4 LAVS).
Source : Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG (DP)
Conclusion
Une attention particulière doit être portée à la responsabilité qu’implique le rôle d’administrateur ou de gérant, mais aussi en cas de gestion de fait de la société. Car si la responsabilité d’un membre du conseil d’administration ou de la gérance est reconnue, il peut être contraint de rembourser la Caisse AVS sur ses propres biens, à hauteur du dommage qu’il a causé.
Cela peut représenter des sommes très importantes, surtout si l’entreprise a accumulé de nombreuses dettes sociales. Il ne s’agit donc pas d’un simple risque théorique.
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Article rédigé par Nadège Morandi, juriste à la FPE-CIGA